Je suis née à Moisie en 1945…
Transcription
Le village de Moisie est situé à l’embouchure de la rivière Moisie.(Mishta-shipu). A ce moment-là, les innus et les non-autochtones vivaient ensemble. J’ai demeuré là jusqu’à l’âge de 5 ans. Après nous avons déménagé à Mani-utenam. Tous les innus qui vivaient à Moisie, sont déménagé à Mani-utenam un village innu.



Le gouvernement voulait déménager également les Innus de Sept-Iles. Ça faisait partie de la Loi sur les indiens, i.e. de tout rassembler les Indiens au même endroit. C’est ce qu’on appelait une réserve et Mani-utenam en était une. Par contre à Sept-Iles, ceux qui demeuraient là, étaient supposés déménager également à Mani-utenam. On réunissait deux bandes au même endroit. Sept-Iles a résisté. L’église a même aidé le gouvernement à pousser les Innus à déménager à Mani-utenam. Finalement les Innus de Sept-Iles ont décidé de rester là et cela a fait beaucoup d’histoires même que l’église, par exemple, dans un cas de décès, les cérémonies se passaient à l’église, on ne pouvait plus enterrer nos morts à Sept-Iles. On les enterrait à Mani-utenam et les Innus pendant la nuit, allaient chercher les morts et les ramenaient à Sept-Iles, au cimetière de Sept-Iles. Il y a eu une grande période où il n’y avait plus le service du curé.
Mes grands parents



Transcription
Mes grands-parents du côté de mon père, je ne les ai pas connus. Ils sont décédés de famine. Mon père a été élevé par des St-Onge de Port Cartier. On a eu aucun lien avec la famille de Ti-Basse St-Onge. Mon père ne parlait jamais d’aller voir la famille Ti-Basse. Par contre du côté de ma mère, on vivait avec ma grand-mère et mon grand-père. J’étais pensionnaire et je ne les ai pas vraiment connus. Je me souviens de ma grand-mère, elle avait toujours un tablier blanc et faisait du lavage avec un petit savon bleu. Ma grand-mère c’était Adeline et mon grand-père Georges Mon grand-père Georges, ça semblait très mystérieux, il avait un parler, il parlait français en plus, un français comme quelqu’un qui venait d’ailleurs. J’ai jamais su d’où il venait mon grand-père. On a regardé dans les registres, à ne pas confondre avec Régis, car son nom de famille était Régis. Il serait d’origine Micmac ou Malécite. Il venait de Madawaska.
On a habité avec eux et on les a quittés pour aller au pensionnat. Ma sœur Anne-Marie les a mieux connus que moi. Je n’avais pas de relation proche de mes grands-parents, tout ce que je me souviens, c’est la prière à 7 hre le soir, on se mettait tout le monde à genoux. Ma grand-mère jardinait. On avait un pommier mais on n’a jamais eu de pomme.



Au village Moisie, j’ai peu de souvenirs. À Moisie on vivait encore avec nos grands-parents, ça je m’en souviens un peu. Je me souviens plus de Mani-utenam, la maison, on restait sur la rue de l’Église dans une petite maison que mon père avait bâtie. Souvent les Innus disaient quand le ministère nous a pris en main, il voulait faire de nous des agriculteurs, mais ça n’a pas marché. Mes grands-parents savaient comment faire pousser des patates. C’était spécial, habituellement on cueille des fruits en forêt. Quand on était jeune, on vivait à Moisie avec des non-autochtones et cela je m’en souviens plus ou moins. Je me souviens des glissades, des balançoires, le gazon, des champs de gazon. Être enfant innu pour nous autres, c’était la liberté. Premièrement on parlait innu, on ne parlait pas français, on pouvait aller à la plage à tous les jours. Je vois très peu d’interdits. Au même moment ils bâtissaient le village et il y avait beaucoup de trous partout pour les égouts et on jouait là-dedans avec des amis. On était toujours en groupe et on faisait beaucoup de jeux dans le village. On était beaucoup dehors. Notre premier jouet était le catalogue Eaton et Simpson Sears. On découpait les personnages et on jouait avec ça. Je me souviens, je m’étais faite une amie, la fille du gérant de la Baie d’Hudson. On avait le même âge et elle était toujours chez nous. On jouait ensemble, pis moi j’avais mes humains en papier provenant du catalogue, que j’avais mis dans une boîte avec le lit, le divan…Elle aimait ça et me passait ses vraies poupées que je pouvais habiller, déshabiller, il y avait toute une garde-robe de poupée et on avait du fun. On échangeait beaucoup. Avec mes amis, c’était beaucoup la plage. Avec ma grand-mère, c’était plus la cueillette. On embarquait dans des gros camions et il me semblait qu’on allait loin, mais on était juste à côté dans les plaines. On ramassait des graines rouges. On partait avec des taies d’oreillers et on les remplissait. C’était ça nos jeux en été. Il y avait beaucoup d’événements religieux, des processions, des messes. Quand j’étais jeune, j’étais très pieuse. J’allais à la messe de moi-même à 7 hre du matin. Je ne me souviens pas que ma mère m’aie réveillé pour aller à la messe. J’y allais souvent. Je me souviens des hivers, c’était le fun, il faisait noir encore. Il y avait aussi des pow wow Pow Wow auquel je ne participais pas vraiment. Ma mère participait beaucoup, des danses carrées ou bien le makushan. J’étais trop jeune. Quand il y avait un Pow Wow, c’était des gens de Bersimis, des Indiens d’ailleurs qui venaient. Dans ce temps-là, il n’y avait pas encore de liens entre les Innus et les Blancs. C’était encore l’église pour nous évangéliser. Ma mère était traductrice et ne nous a jamais obligé au niveau de la religion, elle nous a laissé beaucoup de liberté. Je n’ai jamais senti de force de la part de mes parents d’adhérer à la religion catholique. Mes grands-parents n’étaient pas des gens qui allaient en forêt. Ils restaient au village parce que le territoire de mon grand-père maternel était pas loin ici, environ 40 50 milles sur la rivière Moisie. On nous appelait les Indiens de la mer. On se faisait garder par des familles, car ma mère a eu des emplois partout comme interprète car elle parlait aussi le français. Elle travaillait pour les dispensaires pour traduire les infirmières ou bien les curés, pour préparer les jeunes aux sacrements. Elle partait à La Romaine longtemps et elle amenait ma sœur Anne-Marie et mon frère Bernard. Moi je restais dans la communauté. Je n’ai pas souffert de la séparation, pas de drame. Où je restais, c’était une famille Mckenzie, Sébastien Mckenzie, le grand-père a à Réal Mckenzie. Je ne me souviens pas de lui mais de sa femme Elisabeth. Elle m’amenait partout et j’aimais ça car elle avait de la parenté à Sept-Iles. Pour moi Sept-Iles, c’était loin. Elle me faisait voyager. Du côté de mon père aucune relation avec la famille St-Onge. Mon père s’appelle St-Onge et d’après les registres, il s’appellerait Jean-Pierre de Sheshashit dans la même lignée que la dame Mishta Pinamen. Ma mère serait plutôt malécite de Madawaska.


Je suis entrée au pensionnat à l’âge de 7 ans…
Transcription
A Mani-utenam, quand on est arrivé, il y avait quelques maisons et en même temps on bâtissait un pensionnat. Ça été le dernier pensionnat qui a été créé à travers le Canada
J’avais sept ans. J’étais externe au début. Au pensionnat, il y avait des jeunes de La Romaine, Natashkuan, Mingan, Bersimis et Shefferville. Ça nous a permis de se connaître. J’ai fréquenté le pensionnat trois ans et à partir de la quatrième année, j’ai été pensionnaire jusqu’à ma onzième année.
J’ai été pensionnaire parce que ma mère a été demandée pour travailler avec le curé à Shefferville. Ma mère était enseignante de catéchèse et aussi traductrice. Nous sommes montés toute la famille à Shefferville et pour continuer les études, nous sommes revenus à Mani-utenam et sommes devenus pensionnaires. Ce qui me reste de souvenirs, faut dire que je n’ai pas connu des choses malheureuses et je suis contente d’avoir connu des jeunes de d’autres communautés.
Ça nous rattachait à quelque chose de commun entre nous. On apprenait une autre langue et une nouvelle culture. J’essaie de trouver des éléments positifs du pensionnat…
C’était complètement différent de ce que l’on avait connu à la maison. Moi quand je suis entrée au pensionnat, je ne connaissais pas un mot de français. Ça n’a pas été long, j’ai appris le français. J’ai parlé français assez vite. Parmi les points positifs, il y a le côté manuel, j’ai appris à coudre, à tricoter, à broder…Toutes ces techniques-là, je les ai travaillées plus tard avec ma mère quand j’ai été plus grande. Les samedis, je brodais et j’aimais ça travailler avec ma mère qui faisait des manteaux en duffle (étoffe), des gros manteaux d’hiver. Elle faisait la couture et moi la broderie. Ce sont des choses positives que j’essaie de sortir du pensionnat. J’en ai brodé des raisins sur des chasubles. Quand même, c’était une tâche que j’aimais bien. Quand je pense à ça, on peut dire que ça été une coupure avec mes parents, avec la langue, une coupure avec toutes les activités traditionnelles, une coupure avec une façon de vivre que je devais vivre. Je l’ai réalisé plus tard et ça m’a amené beaucoup de révolte et ça m’a fait boire. Quand je suis allée au pensionnat, j’avais subi une humiliation de la part d’une religieuse. À partir de ce moment-là, j’ai arrêté de parler, je ne disais plus un mot. J’étais quand même performante à l’école, j’apprenais par cœur. Fallait bien que quelqu’un m’aime, au moins le professeur. Je me sentais comme rejetée, abandonnée, j’étais très gênée, très timide. Avec mes performances à l’école, j’arrivais à survivre. Ça m’a poursuivi longtemps dans ma vie. Ça m’a amené à la boisson, même si dans ma famille on était très calme de ce côté. Ma mère ne buvait pas, mon père buvait mais jamais à la maison. Je n’ai pas connu de violence. Je sais que ma mère enseignait le catéchisme mais moi je ne me souviens pas, elle ne me l’a jamais enseigné. La plupart de mes amis me disaient que c’était ma mère qui leur avait enseigné à prier. Ma mère ne nous a jamais tannés avec la religion catholique. Elle marchait avec l’exemple. Si vous voulez me suivre, suivez-moi. J’ai l’impression qu’elle fonctionnait par l’exemple.
Mon père était un très bon vivant, un bon conteur, un comique. Il travaillait beaucoup avec les arpenteurs. Il a voyagé beaucoup. Il a travaillé à travers le Québec. Il y a des photos de lui à l’ONF parce qu’il a travaillé avec des anthropologues, des ethnologues. Ma sœur aussi travaillait avec eux. Ils allaient voir des anciens sites sur la rivière Georges. Mon père était guide et manœuvre. C’était avec Pierre Perrault. Il y a beaucoup de monde qui sont venus chez nous. On était très visité par les ethnologues et les anthropologues. J’avais lu un livre d’un anthropologue américain qui parlait de nous, il décrivait comment on vivait dans la maison et c’est à ce moment-là que j’ai remarqué comment on était comme épié, étudié pendant longtemps. On est resté ami avec plusieurs de ceux-ci.

La ville, les études, les amours, les années 70…
Transcription
Je suis restée au pensionnat jusqu’à ma onzième année et j’ai fait application pour être garde-malade auxiliaire à l’hôpital de Sept-Iles et j’ai été acceptée.
Durant l’été, ma sœur qui demeurait à Montréal, m’a demandé pour aller garder son garçon et j’y suis allée. Un moment donné, elle me dit pourquoi tu n’appliquerais pas à tel endroit ou encore à tel autre endroit, on a fait le tour et on est allé là où elle avait fait son cours. Elle aussi était infirmière auxiliaire. C’était à Buckingham et j’ai été acceptée aussitôt. Je suis retournée dans ma communauté, à Shefferville après un an d’études exactement. Je m’étais ennuyée de la langue innue et je ne le savais pas. Je ne parlais pas, je faisais juste écouter, c’était comme une chanson. Je n’avais pas à me forcer à traduire. C’était un très bon feeling…
Je termine mon cours et là je cherche quelqu’un pour m’accompagner à ma graduation et mon frère me présente Gilles. J’ai alors trouvé un accompagnateur pour ma graduation et un mari par la même occasion. On s’est marié dès le mois de décembre et on a eu deux enfants, Benoît et Michèle. On est resté environ quatre ans à Montréal et je trouvais ça difficile de vivre à Montréal avec deux enfants et je commençais à être stressée. Finalement, on a décidé d’aller vivre à Shefferville.
Quand on vivait à Montréal, il y avait très peu d’autochtones et on est dans les années 70, les années « peace and love » et les Indiens étaient très aimés à cette époque. C’était exotique d’être autochtone. Les gens venaient me voir pour me demander s’ils pouvaient me toucher, ils s’habillaient en Indien…C’était aussi très communautaire. À ce moment-là, Gilles était très impliquer impliqué avec le Parti québécois. Moi je trouvais que le Parti québécois était très collectif, communautaire et moi j’étais très fiere et j’ai adhéré au parti. Une fois Gilles m’amène dans un congrès où l’on parle des autochtones. Ils disaient, c’est fini les réserves, ils vont vivre en ville. Plus j’écoutais, plus je me sentais bouillir, je me disais, mon Dieu qu’est-ce qui se passe là ! Finalement, je suis allée voir René Lévesque avec toute la clique, Lazure, Parizeau et plusieurs autres. Je leur ai dit, savez-vous, ce que les Anglais vous ont fait, vous êtes en train de nous le faire. Et là j’entendais, « Voyons madame » Je suis partie en me disant, au moins ils vont savoir comment on se sent à travers tout ça quand on est Indien et finalement je n’ai pas adhéré au mouvement. Gilles l’a fait. Ce que j’aimais beaucoup de Gilles c’était son esprit d’aventure. On pouvait partir n’importe quand et moi avec mon esprit nomade, j’étais toujours prêtes à partir. On s’est rendu jusqu’en Californie et même à Cuba. Quand on est allé en Californie, Benoît avait deux ans à ce moment-là. On l’avait amené, on est dans les années 71, le mouvement « peace and love » commençait à décroitre, l’esprit familial était encore là quand même. Quand on se promenait avec Benoît, les voitures s’arrêtait, nous faisait passer, c’était « cool » comme on disait à l’époque. À San Francisco, on était invité partout, par des Chinois, on a habité avec des jeunes, c’était très bien. On a visité les communes. C’était une semaine après le meurtre de Sharon Tate et je trouvais qu’il y avait quelqu’un dans la commune qui ressemblait au meurtrier…Les communes de San Francisco avaient été conçues par des architectes et il y avait toutes sortes de types de maison. Les architectes s’amusaient et ce sont les hippies qui y demeuraient et en profitaient. La plupart étaient végétariens et ils avaient tout autour de leur commune. Tout ce qui manquait était la farine. Tout le monde travaillait et tout le monde vivait ensemble. C’était vraiment très intéressant. J‘étais curieuse de voir l’esprit de famille comme on le connaît chez les Innus. Les Indiens étaient très aimés et très exotiques à cette époque-là.
Je déménage à Shefferville…
Transcription
A Shefferville/Matimekush, j’ai trouvé ça assez dur, assez difficile les premiers temps. C’est parce que j’ai été témoin de plusieurs scènes de racisme. Des scènes de racismes dans les bars, à l’hôpital, à l’école. J’ai dénoncé beaucoup. J’ai commencé à trouver ça dur. Avec Gilles, on a commencé à se laisser tranquillement. J’avais 30 ans et deux enfants. Un soir de Noël, une de nos amies nous avait invité. Un moment donné, elle brassait les cadeaux et disait « j’espère que c’est ce que j’ai demandé ». Elle voulait une chaîne, mon amie avait une chaîne dans le cou, une dans le bras et une autre dans le jarret. Je me demandais où elle allait mettre sa nouvelle chaîne et là, il y a eu comme un déclic dans ma tête. Je me suis demandé si je voulais être enchaînée comme elle. Est-ce que je vais vivre en français ou vivre en innu…et là il y a eu un grand questionnement qui n’arrêtait pas. Qui suis-je, est-ce que je suis une innue ou une québécoise. Si je suis une québécoise, il faut que j’accepte de vivre comme eux, alors il faut que je change de valeurs. Et si je suis Innue alors là je ne connais rien à ma culture. À partir de cette petite chaine, ça va bousculer ma vie. Ça durer longtemps mon questionnement, un an deux ans avant que je me calme. Et puis après j’ai changé de job, je n’étais plus à l’hôpital, je travaillais à l’école comme agent d’information entre l’école et les parents innus. Cet emploi m’a aidé à répondre à mes questionnements. Tranquillement je m’en allais vers les Innus, vers ma culture. Finalement, j’avais décidé de retourner chez nous. On s’est laissé Gilles et moi et je suis retournée chez les Innus. Je travaillais dans un emploi où je faisais beaucoup de dénonciations. Les Innus m’ont dit « Depuis que tu es ici, ça va assez mal. Faut dire que je passais mon temps à dénoncer. À ce moment-là, tous les enfants innus étaient classés inadaptés et le fait de les classer inadaptés, permettait à l’école d’avoir beaucoup de subventions. À l’école j’avais monté un comité de parents et je commençais à travailler aussi pour le conseil de bande et de plus en plus avec la communauté. Faut que je le dise à la communauté, si moi je ne me sens pas bien là-dedans, pourquoi les Innus le seraient-ils ?
Il faut qu’eux aussi le savent, qu’ils prennent part aux décisions, pas juste être des personnes pour que l’école soit subventionnée. J’aimais ça et je me rapprochais de ma culture. Le plus dur pour moi, à ce moment-là, c’était de réaliser que je ne savais absolument rien de ma culture, tout ce que je savais était de parler innu. Je ne savais même pas comment dépecer une perdrix, faire de la bannik. J’avais trente ans et plus et ma mère m’a montré comment faire de la bannik, du pain. Je reprenais le temps perdu. J’étais souvent avec mère qui n’était pas trop contente du divorce. Finalement, on en a parlé mes parents et moi et ils ont accepté le divorce avec Gilles.
Puis là on s’est séparé, on avait deux enfants. Il n’y avait pas de consentement mutuel à ce moment-là et il fallait des accusations. Je l’ai accusé et on s’est séparé. Ça bien été. On gardait les enfants chacun notre année. La première fois quand je me suis retrouvée toute seule, pas d’enfant, pas de mari…rien. Là, j’ai réalisé que j’étais avec moi-même. Qu’est-ce que je vais faire avec moi-même ? J’ai paniqué, je me disais si au moins les enfants étaient là, je pourrais leur faire des toasts, le faire à déjeuner…j’ai rien réglé. J’ai commencé à boire à ce moment-là. Ça été pour moi une période noire quand j’ai commencé à boire. Je commençais des batailles, je parlais de politique, je disais des choses désagréables. J’étais gênée et j’avais encore mon problème de timidité du pensionnat. La religieuse me poursuivait encore, celle qui m’avait humiliée en public. Quand je buvais, elle prenait le bord. je parlais beaucoup…
Pour moi la boisson, je ne l’ai pas connue à la maison, c’est moi qui est décidé de boire, ça me donnait l’occasion de parler, ça me donnait l’occasion de rire, de chanter…Tout sautait, j’étais vraiment complètement changée et j’aimais beaucoup ce feeling-là. Quand j’ai commencé à dénoncer à Shefferville, je dénonçais des attitudes et à ce moment-là, les femmes m’ont remarquée. Il y avait un regroupement de femmes à Montréal et on m’avait demandé d’en faire partie, il y avait Ann Kapesh et moi-même de Shefferville. Il y avait des femmes de chaque communauté de la province de Québec, c’était pour mettre sur pied une association de femmes autochtones du Québec. C’est là que j’ai appris la loi, le fait d’avoir été mariée à un non-autochtone me faisait perdre mes droits. J’ai appris que je n’étais plus une indienne. Et tout ça augmente ma frustration. Côté de ma culture, je ne connaissais rien et je prenais un coup en me disant que je suis autochtone. Finalement, le groupe de femmes a fondé l’Association des femmes autochtones du Québec. Je travaillais beaucoup. À ce moment-là il y a eu aussi une association de Métis dont je faisais partie. En 1985, la Loi sur les Indiens a changé concernant les femmes…Maintenant, je peux marier qui je veux et rester Innue. Cependant, aujourd’hui même, le problème n’est pas réglé pour les enfants. C’est réglé juste à mon niveau mais pas pour toute ma génération. Quand j ‘étais avec Gilles, je n’étais pas consciente de ça, que je perdais mes droits. J’étais très ignorante de ce que le gouvernement avait décidé pour nous. C’est une loi d’assimilation. Cette Loi sur les Indiens et tout ça, j’apprenais ça du groupe des femmes autochtones. Je n’étais pas consciente et c’est à ce moment-là que je l’ai réalisé. On a travaillé beaucoup, beaucoup de réunions pour former l’association. Je me souviens de ma fille Michèle qui était enfant à ce moment-là, elle était bébé et je l’amenais dans les réunions et je l’ai toujours trainé avec moi, elle dormait partout, dans le fond de la salle. Je l’ai toujours amené avec moi. Plus tard, Michèle est devenue présidente des femmes autochtones. Dans les dénonciations, il y en a une que je me souviens. Je travaillais à l’école à ce moment-là. Il y a un jeune qui vient me voir et me dit regarde mes bras. Il me montre ses bras qui étaient rouges, rouges. J’ai dit va t’habiller et tu vas venir avec moi. Je l’ai amené à l’hôpital et j’ai dit au médecin, je veux juste que tu me décrives ce que tu vois et que tu le mettes sur du papier. Le médecin m’a demandé ce qui est arrivé et le jeune avait eu la « strappe » par le directeur. Le médecin a quand même été correct et il m’a donné un papier. C’est à ce moment-là que j’ai appelé Simone Chartrand pour dénoncer ce geste. Je pense qu’elle travaillait à ce moment-là à la Commission des droits de la personne. C’est elle que j’avais eu comme référence. J’ai parlé avec elle et elle m’avait dit que fallait que je dénonce le fait à Baie Comeau dans ma région. J’ai appelé à Baie Comeau et j’ai fait la dénonciation. On m’a dit que quelqu’un allait venir me voir la semaine suivante et j’ai dit ok. La semaine arrive et la personne qui était censée venir nous voir à a eu une pneumonie et on n’en a jamais ré-entendue parler. Quand je suis revenue au village, les Indiens me disaient « Voyons donc, tu n’es plus une Indienne, tu nous as trahi, tu nous as renié, tu as marié un Québécois. Cela me faisait réagir beaucoup, quand j’avais bu un peu, je réagissais fort. Cependant, si je regarde ça aujourd’hui, ça été un bon coup de pied pour que je m’occupe de ma culture, de ce qui me manquait. Fallait que je montre aux Innus que j’étais une Innue. Quand il y avait des réunions de femmes, j’étais impliquée, sur la langue…En fait j’étais impliquée dans tout ce qui était innu…J’étais impliquée, j’étais partout. Fallait que je prouve aux Innus que j’étais une Innue. Autour de moi, il y avait de vraies Indiennes et j’étais jalouse, les Indiens avaient raison. Et je réagissais comme ça. Fallait que j’apprenne. À force de vouloir prouver aux Indiens que j’étais Innue, je me retrouvais toujours dans des situations culturelles pour apprendre. Je travaillais souvent avec des Aînés. C’était le ministère de l’ Éducation qui me payait à ce moment-là à Shefferville. C’est aussi à ce moment-là que j’ai déménagé à Sept-Iles.
Je m’implique à Mani utenam…
Transcription
Je suis allée voir Desneiges à ce moment et elle m’a dit embarque avec nous autres. Desneiges travaillait en éducation ici à Sept-Iles. C’était le début de la prise en charge de l’éducation et ça j’aimais ça. C’était un mouvement qui était très énergisant, se prendre en main…Enfin les Innus on va faire quelque chose. On m’a dit tu vas travailler avec des Aînés et tu vas faire des entrevues avec eux. Par exemple un matin on travaillait juste sur le vocabulaire de la neige ou de l’hiver…et le lendemain ça pouvait être la géographie. On travaillait sur des contenus. Il y a un Aîné qui regardait par la fenêtre et qui voyait des enfants jouer dans la rue et il disait qu’il faudrait faire quelque chose avec eux. Qu’est-ce qu’on pourrait faire pour eux ? On pourrait peut-être les amener en forêt. J’ai commencé à marquer qu’est-ce que ça nous prendrait pour aller dans le bois. Il m’a donné une liste et j’ai tout écrit. Je suis allée voir le gérant du magasin de la Baie d’Hudson à Mani-utenam et je lui ai demandé combien ça me coûterait tout ça. Le gérant me dit, voyons donc Evelyne, les Innus ne vont plus dans le bois maintenant, ils ne font plus de trappage, ça ne sert à rien. Je lui ai demandé de le faire quand même. On lui donne la liste :, des haches, des fils, de la nourriture, tout ce dont on avait besoin pour vivre une certaine période avec tant de personne. Ensuite, j’ai écrit à la compagnie de la Baie d’Hudson à Winnipeg pour demander de l’argent. Finalement on a reçu de l’argent et le gérant du magasin nous a félicité. C’est à ce moment-là qu’on a mis le projet sur pied. On a commencé à écrire, combien de temps, où, quand, comment, qu’est-ce que les enfants vont apprendre. Finalement on a donné ce projet à un comité de chasse et on a travaillé ensemble pour concrétiser ce projet. On a fait une recherche de financement et c’est le Centre de main d’œuvre qui a subventionné à ce moment-là le projet. Et c’est là que ça a commencé tout l’enseignement traditionnel et ça correspondait très bien à mes attentes. Je m’étais impliquée car c’est moi qui avais besoin de connaître ma culture. Ça je le sais aujourd’hui car il fallait que je prouve que j’étais une Indienne. J’étais de toutes les réunions même à La Macaza, au collège Manitou. C’était vraiment un endroit très intéressant dans le nord des Laurentides. C’était un collège pour les Autochtones. Moi je n’allais pas là comme étudiante, j’allais là en visite. J’avais une amie qui travaillait là, Sylvia Uatsu et je lui rendais visite. J’amenais Benoît et Michèle qui étaient très jeunes à ce moment-là. Il y avait une garderie et moi j’avais la journée à faire ce que je voulais. J’ai passé un été complet à La Macaza. J’ai appris à sculpter, à faire des ceintures tissées. J’ai appris à faire un tissage traditionnel, à faire un métier à tisser. C’était très valorisant et j’ai appris des choses que je n’aurais jamais appris ailleurs. C’était pour nous un endroit de connaissances et d’habilités. Mon amie travaillait au Service étudiant et Monique Sioui une autre amie, travaillait à l’imprimerie. On était vraiment bien toutes les trois. C’était vraiment un endroit pour Autochtones des Amériques. Il y avait des gens autant des États-Unis Unis que du Canada. Ça été pour moi une grande ouverture. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé qu’on était pas tout seul, qu’il y avait d’autres Autochtones à travers le Canada. Le groupe autochtone s’agrandissait et ça me faisait du bien. Il y avait un côté nationaliste indien et on pouvait se faire entendre. L’identité était là et c’était très intéressant. J’ai appris beaucoup de choses. Les réunions des chefs se passaient là. Ça nous a éveillé à réaliser qu’on n’était pas seul et qu’on pouvait être fort.
J’ai commencé à rêver en indiens…
Transcription
Quand j’ai fait ma crise d’identité, pis ça s’est calmé…là j’ai commencé à rêver en indien, j’ai commencé à rêver à un prince charmant innu qui m’amènerait dans le bois, où je pourrais vivre dans le bois…Et finalement, j’ai rencontré Philippe. Philippe est un chanteur qui chante en innu. Et qui s’identifie comme un Innu. Pour moi, ça me convenait très bien. C’est drôle comme on s’est rencontré, je ne l’avais jamais remarqué avant. On était à la rivière Moisie au campement de Desneiges Vollant…Il y avait un journaliste de Radio-Canada qui était venu. Il y avait une grande réunion. On préparait le repas, puis il y a eu un orage, tout d’un coup avant le repas. Tout le monde est parti se mettre à l’abri en dessous des arbres…Et un éclair surgit, près d’une voiture…Philippe était là et ce fut le coup de foudre. Je ne l’avais jamais vu avant. Un an et demi après, on a décidé de vivre ensemble et on a eu Mishtashipu. Lui aussi joue de la musique. Je me souviens que quand Philippe jouait de la guitare, Mishtashipu mettait toujours son oreille sur la guitare, ça commencé de même.
C’était à Innu nikamu, c’est là qu’on m’a présenté Eddy Malenfant qui était aussi ami avec Zacharie et Céline Bellefleur. J’étais toujours en train de rêver de sauver la culture et la langue. Céline travaillait dans la langue innue et Zacharie était toujours en forêt. On a eu cette rencontre avec Eddy pour faire du matériel scolaire en vidéo. Je travaillais déjà à faire du matériel didactique sur papier dans le cadre du projet de innu uass. On faisait beaucoup de petits livres pour les écoles. Et maintenant on va avoir de l’audio-visuel. Je me disais, je vais être là, j’embarque avec eux, car ça correspond toujours à ma recherche d’identité et à sauver ce qui nous reste comme culture. Je suis Innue et je vais mourir Innue. Tout ça faisait partie de ma démarche. En faisant des documents audio-visuels en innu et c’était vraiment intéressant. En plus les films parlaient notre langue, du territoire. Il y avait une grande fierté à le faire. Pour moi personnellement j’étais fière de travailler pour Production Manitou, car j’avais mes trois enfants qui, en même temps que moi, apprenaient beaucoup de la culture innue. Le fait de faire ces documents -là en langue innue me rendait très fière d’autant plus que nos premiers spectateurs étaient les Aînés qui nous sanctionnaient d’une certaine façon. Quand ça riait, c’était un bon signe que le document était bon et qu’on pouvait le diffuser. C’était eux qui décidaient de la qualité de nos documents. Toujours avec Production Manitu, on a élargi notre présence, fallait se faire connaître et on a fait une série innue assi où l’on a visité les onze communautés de la nation innue. Pour moi, ça été très facile car mes parents étaient passés avant moi. Mes parents étaient très connus dans les communautés et c’est eux qui m’ont ouvert le chemin. Comme mes parents, j’aimerais faire la même chose pour mes enfants et qu’ils retrouvent cette même facilité que moi j’ai connue.
En même temps que je travaillais pour Production Manitu, j’ai travaillé également à l’Institut culturel et éducatif montagnais. On m’a dit, fait un projet et rencontre le conseil de bande et Emploi et Immigration peut subventionner ton projet. Je suis retournée à l’institut avec une partie du projet financé, dont mon salaire. On m’a dit Ok. , Au début je travaillais comme agent de projet, puis sur le programme sensibilisation. Ce programme s’organisait avec en partenariat la Commission des droits de la personne. C’est un programme où l’on donne de l’information aux non-autochtones dans le but des sensibiliser sur la réalité autochtone et on le fait à travers une clientèle scolaire du secondaire. C’est un programme qui fonctionne depuis dix ans et est très demandé. Ça répond bien au questionnement des Québécois parce qu’ils veulent nous connaître. Des fois je leur pose la question à savoir quelle image vous vient à l’esprit quand on dit sauvage, amérindiens, autochtones…C’est la forêt, la chasse, les plumes, la danse autour du feu. On n’est vraiment pas connu même si on vit à côté d’eux. Le fait d’aller les voir dans les écoles, on installe une grande tente dans la cour d’école. On amène les jeunes à l’intérieur, ça sent le sapin et on parle de nous très simplement sans vouloir faire des sensations. On se présente tel qu’on est, ce que l’on fait aujourd’hui. On mange, on danse, les jeunes qui le désirent peuvent dormir à l’intérieur. C’est un bon soutien pédagogique. Les gens aiment ça et je pense que c’est un très bon moyen. On va également dans les écoles innues. Même chez les Innus, on ne connaît pas tellement notre histoire, l’histoire du Canada qu’on a appris à l’école, souvent moi j’étais gênée de cette histoire, j’aurais voulu me cacher et me pâlir tellement cette histoire est contre nous, parfois, c’était vraiment humiliant d’entendre cette histoire qui est montrée dans les écoles. Pour nous Production Manitu, d’avoir fait Chronique de Minganie fait partie de ce que nous voulons montrer à travers l’histoire que les gens ne connaissent pas. On incite les gens à être curieux à cette façon de connaître l’histoire. J’ai beaucoup aimé cette façon de faire.
A la recherche d’un lien spirituel qui m’a manqué…
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J’ai bu, à l’époque où je n’allais pas bien avec ma consommation d’alcool, j’ai pris des cours en relation d’aide, pour m’apercevoir que c’était moi qui avais besoin d’aide. J’avais décidé d’aller faire une thérapie et j’y suis allée.
Y avait toujours quelque chose qui me manquait, je me disais : j’ai arrêté de boire, je suis en bonne santé, je commence à régler mes problèmes de relations…Mais je sentais quand même quelque chose qui me manquait en dedans de moi et je savais que c’était le côté spirituel.
Quand je suis sortie du pensionnat, j’ai laissé le bon Dieu au pensionnat, quand j’ai fermé la porte du pensionnat, je l’ai laissé là. J’avais assez prié tout ce temps-là. Pourtant je me suis mariée à l’église, je n’ai pas fait baptiser les enfants…
Ça continu comme ça sans religion, sans croyance à quelque chose. Je me sentais complexée, pas bien, il y avait un vide à l’intérieur de moi. Mes amis me disait: donne tes peines au bon Dieu et moi je ne comprenais pas ce qu’ils voulaient dire. Je m’attendais à ce qu’il m’apparaisse ou quelque chose comme ça. Je n’avais pas du tout l’esprit spirituel. Un soir, Edouard Michel arrive chez nous et dit qu’il s’en va à une cérémonie à la pleine lune. Je lui dis, je vais aller avec toi. On était tout le monde assis par terre et il y avait une femme Naskapie qui parlait de toute notre relation avec la terre, le soleil, la lune…C’est à ce moment-là que j’ai trouvé ma réponse…J’ai trouvé tout un côté spirituel des éléments de la terre que je n’avais jamais pensé, que je n’avais jamais vu, ni même pensé, je ne savais même pas que ça pouvait exister. Ça été pour moi une très belle découverte. Après j’ai continué à vouloir connaître plus…Une autre fois, il y a eu la tente à suer, ça se passait à la rivière Moisie, le territoire de mes ancêtres, de mon grand-père du côté de ma mère…Je pensais beaucoup à mes ancêtres cette fois-là…J’ai pleuré tout le long, c’était comme si j’avais à pleurer toutes les peines du monde, toutes les peines que j’avais eues auparavant. Un matutishan avec Noat à la rivière Moisie. Quand je suis sortie, le fou de rire m’a poigné, j’ai vu des étoiles…J’étais couchée par terre. J’avais été aux extrêmes et ça été encore d’autres découvertes. Je me sentais bien, j’avais arrêté de boire et je commençais à régler mes émotions. C’était le côté spirituel qui me manquait. J’entretiens beaucoup ce côté-là maintenant, Je vais à tous les ans à la danse du soleil chez les Lakotas. Pour moi, c’est un lien très important, c’est le lien spirituel qui m’a manqué et que j’ai toujours cherché. Ça m’a pris du temps à comprendre. J’aime beaucoup ce lien là, ce sont des gestes, une façon de faire, une façon de penser qui te relie avec la terre, avec les autres. On fait tous les mêmes gestes qu’on soit innu Innu ou Lakotas. J’ai eu une plume, j’étais avec Marie Jeanne et pour moi, la mission de recevoir une plume est une mission de paix et pour faire ma mission de paix, ma vie doit être aussi légère que la plume et la paix je le fais avec le travail de sensibilisation dans les écoles ou les autres communautés. C’est ça ma mission, de parler des Innus, de se faire connaître, que ce soit avec un Innu ou un Non-autochtone
Il faut posséder les 2 cultures…
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Aujourd’hui, mon rôle de grand-mère, je l’ai senti quand ma petite-fille Laura qui avait huit ans est venue me voir et je me suis aperçue qu’elle m’imitait. C’est à ce moment-là que je me suis dit que mon rôle de grand-mère commençait. Je devais lui enseigner des choses car elle avait le goût d’apprendre. Aujourd’hui, ce que j’aimerais pour mes enfants…Ils sont bien, ce sont des Innus, peut-être qu’ils ont de la difficulté à parler innu mais ils ont le sens innu. Quand je pense à Benoît, il peut travailler où il veut, il est très habile en forêt, très habile de ses mains, il peut faire des canots, il connaît beaucoup de choses de la culture innue. Michèle ne parle pas très bien innu, elle comprend. Elle connaît beaucoup de lois concernant les Autochtones du Canada et pour moi c’est aussi important. Mishtashipu, lui connaît la forêt, parle la langue, connaît la musique. Mes enfants, je suis fière d’eux et j’aimerais qu’eux aussi transmettre à leurs enfants. C’est maintenant à mon tour de m’intervenir avec eux pour renforcir leurs connaissances. C’est à mon tour d’aller voir mes petits-enfants, de leur enseigner, de parler innu. Je ne suis pas inquiète pour Benoît, ses enfants parlent la langue. Par contre, j’ai encore de la difficulté à l’atteindre ou lui parler tout simplement. Une fois je lui ai raconté une histoire qu’on était allé voir un Aîné qui nous avait parler de la truite grise et j’en ai parlé à Benoît qui a réagi en me disant pourquoi je ne lui en avais pas parler avant. Il veut en savoir des choses, que je me suis dit. Je viens juste de le savoir que lui ai répondu. Je n’ai pas connu la vie traditionnelle, j’ai appris à l’âge de 30 ans et je me suis ré-appropriée ma culture. Je l’ai apprise un peu partout, de bien du monde, pas de mes parents mais par de nombreux Innus de plusieurs communautés. Aujourd’hui il faut posséder les 2 deux cultures. Il faut être fier d’être Innu. Il faut que tu connaisse au moins une partie de ton histoire. C’est ce qui nous manque, nous les Innus, connaître notre histoire, nos légendes, nos chansons, notre histoire de famille…J’aimerais que mes enfants soient bien dans les deux cultures, en ville, à Nutashkuan, à Mani-utenam…C’est de cette façon que mes parents m’ont laissé une liberté ou une aisance…
Retour sur ma vie…
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Quand j’ai eu l’humiliation, j’avais arrêté de parler et j’étais timide, je voulais dire des choses, j’aurais aimé ça chanter, danser…mais la gêne l’emportait, j’avais peur qu’on me reprenne encore en public. Pis j’ai trainé ça longtemps, ça ne fait pas longtemps que je parle là, j’étais gênée, fermée, ça n’avait pas d’allure et la boisson l’inverse, fallait que je me soigne. Il y a aussi le fait que j’étais gênée, j’ai bu et j’ai arrêté de boire et c’est à ce moment que j’ai commencé à me soigner, c’était vraiment une obsession ma recherche d’identité et j’étais aussi gênée de revenir dans le village. J’étais une Innue et je ne connaissais pas ma culture tandis que Danielle Dessent, une blanche, connaissait tout. Ça comme déclenché une envie vis à vis elle. Pis pauvre fille, je l’ai engueulé assez raide quand j’étais saoule. Aujourd’hui, je réalise que c’était de la jalousie. Y a fallu que j’aille chercher ma culture pour me calmer et enlever la gêne. Ça disparu complètement. Le fait d’aller dans le bois m’a aidé beaucoup. Quand je suis arrivée ici, j’avais trente-trois ans. Je rencontre Philippe pis lui aussi était du même genre. Pis là on est allé dans le bois, des longues périodes. Ça a duré dix ans. On y allait tout seul ou encore avec des Aînés ou des groupes, toujours pour connaître encore plus notre culture. Je ne m’en suis même pas aperçu et la gêne a disparue.



Avant, je me disais, il n’y a pas un psychologue qui peut m’aider. Quand j’ai commencé à penser aux garçons, c’est sûr que j’ai sorti un peu mais le premier, c’est lui qui m’a marqué. J’étais en train de garder et il a voulu sauter sur moi et je me suis débattue…finalement il est parti. Finalement, je passe dans la rue et les gars riaient en disant « Ah la femme forte au lit ». Le maudit il avait tout conté à ses amis. Cette histoire plus l’histoire de la religieuse sont revenues. Les Innus, je ne les aimais pas. Il m’a comme fermé toutes les relations avec les hommes. Cependant les amourettes, j’en faisais par exemple avec Mark Sandie. Un été, moi et Véronique on se tenait beaucoup avec les Naskapis, surtout les soirs. On se promenait et on pognait les Naskapis, sur le bord du lac, un peu partout. On se promenait beaucoup moi et Véronique en forêt. Toute la région, le radar, Squaw lake, au nord du lac John, on l’a fait en long et en large. Et on se promène encore dans ce coin-là. Mon choix de carrière, ça aurait été la recherche, dans les laboratoires, mais je trouvais ça trop compliqué. L’hôpital était plus proche et moins forçant. Aujourd’hui, je m’en sers beaucoup avec les plantes et je suis moins peureuse au niveau de la médecine et je connais un peu les plantes mais je ne m’en sers pas beaucoup aujourd’hui. Si j’ai mal au foie ou encore dans le dos, alors, je me pose plus la question qu’est-ce qui ne va pas dans ma vie. Je n’étais pas consciente que tous les Autochtones aient une relation particulière avec la terre, la lune, les étoiles…Moi je ne l’avais pas du tout. Ça m’a pris un événement de ce genre-là pour me réveiller, c’était là mais je ne le voyais même pas. C’est après que j’ai vu toute la dimension spirituelle avec ce qui m’entourait. D’après moi je faisais beaucoup d’efforts pour changer mes relations et être bien.

Je voulais faire connaître aux Québécois et aux autres que l’on était au Québec et présent. J’ai essayé avec des barrages, des contestations et ça n’a pas marché, mais avec le programme de Sous le shaputuan dans les écoles secondaires du Québec, rencontrer les jeunes et dire qu’on existe, parler de nos différences, parler de la langue, parler que l’on vit à côté d’eux et qu’ils ne nous connaissent pas, pour moi ça, c’est plus valorisant qu’une barricade. Dans ce programme, j’ai vu à peu près 200,000 jeunes Québécois et pour moi, le message est passé. Les jeunes savent qu’on existe.
Je pense qu’on ne peut plus nous ignorer aujourd’hui et on le sent à travers les médias…et je continue, maintenant, je suis au niveau international. Avec le projet des sites sacrés, les gardiens des sites sacrés. On est un groupe de jeunes vieux Autochtones à la retraite. Dans le groupe, nous avons des connaissances assez variées. Le groupe se compose de 12 personnes et on est allé en Finlande. Le premier voyage, on voulait voir des caribous. Rendu là-bas, on était attendu, on a visité des écoles. Ils nous ont démontré comment un peuple vivait avec le caribou au niveau des vêtements, au niveau de l’histoire, au niveau de l’économie. Eux aussi, tout est basé sur le caribou. La même chose que nous sauf l’élevage. Eux font l’élevage du caribou. Cependant, je trouvais qu’il n’avait pas la dimension spirituelle avec le caribou mais plutôt une dimension économique.
Souvent je me suis demandée qui j’aurais été si je n’avais pas été humiliée ou gênée. Ma réponse c’est Katune, Michèle ma fille. C’est comme ça que j’aurais aimé être là. Moi j’ai un espoir qu’on a à vivre ensemble, selon nos valeurs réciproques. Chacun sa façon de vivre et si on élargit, moi je veux juste la paix à travers le monde. L’héritage, bien on a une langue, une façon de vivre et on doit les garder. C’est comme ça que je vois le monde. Ce que je trouve bon, c’est qu’on a vécu longtemps, on a survécu, beau temps mauvais temps et avec rien et on n’a rien changé. On a vécu avec ce qu’on avait autour, toujours en harmonie. Quand je vais dans les écoles, je rencontre également les parents le soir et ils nous disent que le pays, c’est à nous autres, vous êtes les Premières Nations, on vous doit quelque chose…Je réponds que moi aussi je change et qu’on a à vivre ensemble maintenant. Par où on va commencer…Moi, je veux la liberté dans le territoire, parler ma langue et l’enseigner pour le reste, je suis capable de vivre comme vous autres. Mais je vais rester Innue. J’ai un modèle, c’est Alanis Obomsawin, j’avais une amie Abénakise Sylvia Uatsu. Alanis vient de Odanak et on allait souvent chez elle. J’aimais beaucoup son énergie, toujours souriante et j’aimais aussi son audace. Pour moi, elle n’avait peur de rien. Je la regardais aller, elle travaillait souvent avec ses mains, elle faisait des poupées pour les enfants de sa communauté. Je ne l’ai jamais vu en spectacles à Montréal J’ai toujours trouvé qu’elle était très originale. Elle filmait des choses qu’on ne voyait pas souvent. Je l’ai vu la dernière fois, c’était la Journée autochtone qui se passait à Montréal. Elle allumait le feu avec Ghislain Picard et nous, on transportait le feu à Québec pour le feu de la St-Jean. Elle me dit, on est rendue vieille et on est encore là nous autres.
HOMMAGE À EVELYNE ST-ONGE

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